Discours
Manifestation du 1er mai 2010 à La Chaux-de-Fonds

Intervention de Jean-Claude Rennwald, vice-président de l’USS, membre du comité directeur du syndicat Unia, conseiller national (PS/JU)

Chers collègues,
Chers camarades,
Chers amis,

Comme vous, certainement, je me suis réjouis lorsque La Chaux-de-Fonds et le Locle, voilà bientôt un an, ont été inscrits au patrimoine mondial de l’Unesco. Ainsi, ces deux villes, souvent dénigrées par ailleurs, sont considérées comme ayant une importance à l’échelle de la Terre entière. A travers cet événement, c’est l’horlogerie qui est célébrée, en ce sens qu’elle a modelé les rues et les bâtiments qui nous entourent. C’est ce que les spécialistes appellent « l’urbanisme horloger ».

Si cela a été l’occasion de rappeler combien la tradition horlogère est toujours vivante dans les Montagnes neuchâteloises, un point a été oublié : l’héritage de l’horlogerie va bien au-delà des rues et des bâtiments :

Il y a toutes les personnes qui la font vivre, les travailleurs et les travailleuses, leurs familles, leurs origines, avec leurs joies et leurs misères.
- Il y a tout le savoir-faire accumulé au fil des siècles.
- Il y a toutes les luttes, tout un état d’esprit contestataire pour préserver des conditions de travail et d’existence décentes.

C’est cela qui a façonné La Chaux-de-fonds et le Locle, jusqu’à leur donner leur visage actuel. L’urbanisme horloger n’est rien sans les horlogers et les horlogères. Sans la population ouvrière dans son ensemble, nationaux et migrants réunis.

L’Unesco a reconnu à ces deux villes une importance exceptionnelle. En retour, celles-ci se doivent de conserver leur patrimoine, de préserver leur différence. Là encore, ce n’est pas qu’une question architecturale ou urbanistique. Ici comme ailleurs, c’est toute la population ouvrière qu’il faut préserver, avec des emplois, des salaires, une sécurité sociale efficace, un cadre de vie intéressant et la possibilité pour tout le monde de s’investir dans les multiples dimensions de la vie en commun : politique, économique, affective, culturelle.

Comment un patron peut-il décemment se faire livrer une voiture de luxe devant les fenêtres de ses ateliers ? Même s’il paie ses ouvriers décemment, jamais eux n’arriveront à se payer même la plus petite voiture de sa marque favorite. Alors que ce sont eux qui font sa richesse. La crise actuelle le démontre : il faut répartir autrement d’une part l’argent, et d’autre part le pouvoir de décision sur la marche de l’économie. Les managers actuels ont fait assez de dégâts comme ça. Ce n’est pas aux victimes de payer la crise. En ce 1er mai 2010, nous exigeons :

- du travail pour tous, plutôt que le profit pour quelques-uns ;
- des salaires corrects pour tous, plutôt que quelques bonus excessifs, lesquels devraient d’ailleurs être taxés à hauteur de 50 % ;
- une sécurité sociale efficace, plutôt que des cadeaux fiscaux aux plus riches ;
- un pouvoir de décision renforcé pour les travailleurs et les travailleuses, en emploi ou à la recherche d’un emploi.

Dans cette liste, nous plaçons l’emploi au premier plan. Parce que le travail participe à la dignité de chacun et de chacune d’entre nous. Quand, et la précision est fondamentale, quand les conditions en sont bonnes. Cela concerne tant le salaire, les horaires, les vacances, que la reconnaissance accordée ou encore l’ambiance entre collègues et avec la hiérarchie.

Nous entendons souvent dire que, dans l’économie, « quand le bâtiment va, tout va ». Et dans nos vies, quand le travail va, tout va ? En tout cas, si le travail ne fait pas le bonheur, il y participe. Et ce ne sont pas les salariés de France Télécom qui me contrediront : vingt-cinq suicides dans les locaux même de l’entreprise en un peu plus de 18 mois.

Et en Suisse ? Notre pays connaît l’un des plus forts taux de suicide de toute l’Europe. Il serait très étonnant qu’une partie d’entre eux ne soient pas liés aux pressions subies sur le marché du travail. Dans les années 1970, ce sont les ouvriers à la chaîne qui connaissaient un taux de suicide particulièrement élevé. Depuis les années 1990, toute l’industrie et les services sont concernés. Le suicide n’est pourtant pas une « mode », comme a osé le prétendre le PDG de France Télécom, et encore moins un problème individuel. C’est bel et bien l’organisation du travail qu’il faut dénoncer:

- les stratégies d’isolement, tout ce qui casse les solidarités entre collègues, ce qui favorise le chacun-pour-soi et la compétition entre les salariés ;
- de même que les exigences toujours plus élevées qui minent les travailleurs et les travailleuses.

Alors que la crise économique augmente indéniablement la pression sur les lieux de travail, il est temps de prendre conscience que le travail peut tuer. Non seulement sur les chantiers ou quand on manie des produits toxiques, mais aussi par l’épuisement de celles et ceux que l’on a pressés comme des citrons en pensant hypocritement qu’il en sortirait toujours du jus…

Le travail doit avoir un sens pour qui l’exécute : savoir pour qui /pour quoi on travaille, avoir le plaisir du travail achevé et bien fait, se sentir intégré dans une équipe. La reconnaissance salariale est aussi indispensable qu’insuffisante. « Je ne veux pas perdre ma vie à la gagner », disait le philosophe André Comte-Sponville.

Ainsi, s’il faut en priorité maintenir et créer de l’emploi, ce n’est pas à n’importe quel prix. Pour sortir de la crise actuelle, nous voulons des emplois, mais des emplois de qualité.

Dans ce but, il faut d’une part maintenir l’emploi ici, en évitant les délocalisations inutiles. Il nous faut aussi inventer de nouveaux emplois. De tout temps, la population ouvrière s’est battue contre les machines qui faisaient le travail à sa place. Au 18e siècle, les ouvriers du textile mettaient le feu aux premiers métiers à tisser. Pourtant, je suis convaincu que l’on ne peut pas aller contre ce genre de progrès technique, à condition bien sûr qu’il ne se fasse pas au détriment de la nature et de l’humain. A l’inverse, nous devons profiter des nouvelles technologies, notamment les technologies vertes, pour créer de l’emploi. En Suisse, on estime que 100'000 emplois nouveaux pourraient être générés par la production des énergies renouvelables, les économies d’énergies, le développement des transports publics ou encore la gestion des déchets.

Vous le savez mieux que quiconque, l’horlogerie suisse vient de traverser une période dramatique, marquée par la suppression de 5'000 emplois, soit 10 % des effectifs de la branche, ainsi que par un recours massif au chômage partiel. Malgré cela, nous avons décidé d’être offensifs dans le cadre du prochain renouvellement de la convention collective de travail. D’abord parce que les travailleuses et les travailleurs doivent obtenir des compensations par rapport à tous les sacrifices fournis. Ensuite parce que les affaires repartent. Entre mars 2009 et mars 2010, les exportations horlogères ont en effet progressé de 32 %, ce qui fait dire à la Fédération de l’industrie horlogère que « la reprise est clairement confirmée ». Nous menons actuellement une enquête auprès des salariés de la branche pour connaître leurs préoccupations. Mais on peut d’ores et déjà affirmer que l’amélioration des salaires minimaux, une meilleure protection contre les licenciements, un renforcement des possibilités de retraite anticipée ou encore un congé maternité de 18 semaines seront à l’ordre du jour des négociations.

Comme vous le voyez, et comme vous l’expérimentez certainement tous les jours, nous avons du pain sur la planche, pour que les conditions de travail et de vie du plus grand nombre s’améliorent. Et encore aurions-nous la partie facile si la droite politique ne s’acharnait pas à compliquer une situation déjà difficile. Comme récemment, lorsqu’elle a voulu s’en prendre aux rentes du 2e pilier. Finalement, nous avons gagné. Nous avons réussi à stopper ces attaques indignes. Les fossoyeurs de notre deuxième pilier n’ont qu’à se rhabiller. La victoire a été nette, et nous l’avons fêtée dignement! Cela nous encourage à poursuivre nos efforts.

Nous devons maintenant faire face aux attaques contre l’assurance-chômage des mêmes démolisseurs du social. La majorité du parlement fédéral vient d’accepter une révision si purement et simplement scandaleuse que nous n’avions pas le choix : nous devions lancer un nouveau referendum pour éviter 700 millions d’économies sur le dos des sans emplois, en particulier les jeunes, les seniors et les régions déjà les plus fortement touchées par le chômage. Chronique du démantèlement annoncé :

- une partie des plus de 55 ans pourrait toucher moins longtemps le chômage ;
- certaines catégories de chômeurs n’obtiendraient plus que 90 indemnités journalières;
- les chômeurs sans enfants devraient attendre jusqu’à 20 jours pour toucher leur première indemnité journalière;
- l’obligation d’accepter n’importe quel emploi – même à un salaire de misère et à deux heures du domicile – serait renforcée;
- les cantons affichant le plus fort taux de chômage ne pourraient plus prolonger la durée d’indemnisation. Or, Neuchâtel, avec d’autres, bénéficient de cette clause.

J’arrête là la description du massacre.

Vraiment, les bourgeois de ce pays, comme dans le reste du monde d’ailleurs, ne voient que la colonne « dépenses » du budget de l’Etat, sans jamais regarder du côté des entrées. Les raisons de ce blocage sont faciles à comprendre : quand l’on est égoïste et que l’on ne réfléchit qu’à court terme, mieux vaut maximiser ses gains individuels que de répartir les richesses.

Et parmi les démolisseurs du social figure en première ligne l’UDC. Il faut le répéter dans ces Montagnes neuchâteloises où la population ouvrière est malheureusement de plus en plus encline à céder aux sirènes populistes. L’UDC, un parti populaire ? Mon œil. Comme le prouve une nouvelle fois son soutien à la révision de l’assurance chômage. Au Conseil national, sur ce sujet, 30 UDC se sont abstenus, parce que le démantèlement des prestations n’allait pas assez loin à leur goût ! Les autres ont plébiscité la révision. L’UDC montre ainsi son vrai visage : un parti qui ne voit aucun problème à faire subir les conséquences du libéralisme triomphant aux classes populaires et aux étrangers. Je vous rappelle que ce parti est dirigé et financé par des patrons richissimes dont les intérêts et les préoccupations sont bien éloignés des nôtres.

D’ailleurs, sans qu’un Jurassien ne fasse de l’ingérence dans les affaires chaux-de-fonnières, je ne m’étonne pas que l’UDC locale s’en prenne au projet de rénovation de votre musée d’histoire. Précisément ce musée qui - et nous en revenons à la reconnaissance Unesco - entend mettre en valeur l’histoire si particulière de ce lieu, une histoire si horlogère, si ouvrière. L’UDC a-t-elle peur que le nouveau musée parle trop des injustices sociales et de nos luttes ? L’UDC a-t-elle peur qu’on y reconnaisse tout ce que le développement des Montagnes doit à l’immigration ?

La richesse culturelle de la Chaux-de-Fonds et du Locle, aujourd’hui reconnue comme un patrimoine mondial, vient de sa tradition horlogère. Et qui dit tradition horlogère dit population ouvrière. Tous ces doigts actifs dans les ateliers, dans ces deux « villes-manufactures » comme disait Marx en parlant de vous, tous leurs collègues des autres branches, toutes ces assemblées syndicales revendicatives, tous ces projets même utopiques de solidarité, voilà la richesse exceptionnelle de ces villes, voilà ce qu’il faut préserver. L’histoire n’est jamais une page tournée, mais toujours en construction, toujours en marche, toujours en lutte. Alors, continuons à l’écrire ensemble !