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Manifestation du 1er mai 2003 à Moutier

La Suisse doit se doter d’une politique économique et industrielle digne de ce nom !

Allocution de Jean-Claude Rennwald, membre du comité directeur du syndicat FTMH, vice-président de l’Union syndicale suisse (USS), conseiller national (PS/JU)

Chers collègues, Chers camarades, Chers amis,

Qui y a-t-il de commun derrière des mots comme Tornos, von Roll, Valentini ou Swisa ? Et bien, il y a derrière ces mots des centaines de suppressions d’emplois, des centaines de licenciements, des hommes et des femmes qui souffrent, qui vivent dans l’angoisse du lendemain. Il y a toute une région qui se sent délaissée, à laquelle l’Etat fédéral ne laisse que des miettes.

Derrière les drames qu’a vécus la région jurassienne, il y a les difficultés conjoncturelles et parfois l’incompétence des directions d’entreprises. Mais il y a aussi l’absence d’une politique économique et industrielle digne de ce nom dans notre pays !

Aujourd’hui, quelque 140'000 personnes sont inscrites au chômage et le nombre des demandeurs d’emploi (200'000) est bien plus important encore. Le taux de chômage frôle la barre des 4 %.

Malheureusement, ces chiffres ne forment que la pointe de l’iceberg. Analysée sur le long terme, la situation économique est encore bien plus catastrophique :

· Entre 1986 et 2004, la Suisse aura connu une croissance annuelle moyenne de son PIB de 1.4 %. Or, aucun pays de la zone OCDE, qui regroupe les pays les plus riches du monde, n’a fait aussi mal que nous, puisque durant la même période, la zone OCDE a connu une croissance annuelle moyenne de 2.7 % et l’Union européenne une croissance de 2.4 %.

·        Ces différences ont évidemment eu des effets divergents sur le pouvoir d’achat. Entre 1990 et 1999, les salaires réels ont progressé, en moyenne annuelle, de 1.4 % au sein de l’Union européenne, mais de 0.12 % seulement en Suisse, c’est-à-dire dix fois moins.

Aggravation du chômage, stagnation voire baisse du pouvoir d’achat, démantèlement de l’appareil de production. Tel est le portrait économique et social de la Suisse d’aujourd’hui. Cette situation est en bonne partie le résultat de choix politiques, et de ceux-ci en particulier :

1°  Durant une période beaucoup trop longue, la Banque nationale suisse (BNS) a mené une politique qui a renforcé l’attrait du franc suisse. Cette politique a favorisé tous ceux qui souhaitent profiter d’un franc fort et du secret bancaire pour placer des capitaux en Suisse, mais elle s’est fait au détriment de la place industrielle. De passage au Salon de l’auto, à Genève, Ferdinand Piëch, patron du groupe Volkswagen, a d’ailleurs déclaré « qu’en Suisse, le secteur de la finance éclipse et domine tout. » Il est vrai que depuis une année, la BNS combat de façon plus résolue toute appréciation du franc par rapport à l’euro. Cette politique doit être poursuivie et intensifiée, car les exportations jouent un rôle décisif dans la reprise de la conjoncture.

2° Les collectivités publiques mènent une politique budgétaire beaucoup trop restrictive, politique qui trouve sa traduction dans le frein à l’endettement et dans de vastes programmes d’économies qui menacent des tâches essentielles de l’Etat, comme la sécurité sociale et les transports publics. Il est urgent de mettre fin à cette obsession de l’équilibre budgétaire à tout prix. Car si l’Etat continue de sabrer dans les dépenses, la diminution des dépenses publiques viendra s’ajouter aux autres facteurs de déprime, et la Suisse se singularisera à nouveau par une récession plus profonde et plus longue que celle de ses voisins. On mesure mieux l’ampleur des dégâts lorsque l’on sait que la mise en œuvre du dernier programme d’économies de Kaspar Villiger entraînerait la perte de 40'000 emplois. C’est tellement incroyable que d’aucuns en avalent leur cigare !

Malgré une situation sociale et économique dramatique, le Conseil fédéral a récemment déclaré, je cite, « que la politique conjoncturelle actuelle est bien adaptée à l’évolution de la situation économique ».

Cette attitude est irresponsable, et ne fait que relayer celle des milieux économiques et de la droite politique, qui n’ont que deux expressions à la bouche : baisser les impôts et augmenter la flexibilité du marché du travail. Mais ils se mettent ainsi le doigt dans l’œil. D’une part parce que la fiscalité suisse est déjà l’une des plus basses du monde et que la réforme en discussion devant le Parlement ne profitera qu’aux catégories les plus aisées de la population, ce qui n’aura guère d’incidence sur la consommation. D’autre part parce que les recettes classiques d’inspiration libérale – abaissement du coût du travail, flexibilité accrue, pressions plus fortes sur les chômeurs et les travailleurs pour accepter des emplois précaires et mal rémunérés – n’ont pas permis de faire sortir l’Europe du chômage de masse, alors qu’elles sont utilisées depuis près de vingt ans !

Au milieu des années soixante, le plein emploi était considéré comme la situation normale d’une économie et le chômage comme une maladie. Mais en raison du travail de sape mené par les idéologues bourgeois, l’existence d’un chômage important est devenu la norme et le plein emploi un concept périmé, en raison, disent-ils, du processus de mondialisation.

Et bien, chers collègues, pour le mouvement syndical, cette façon de voir les choses est inacceptable, notamment parce que la mondialisation ne signifie ni la fin du politique, ni l’impuissance des Etats et la récession n’est pas une fatalité. A l’avenir, les politiques nationales continueront d’avoir une influence déterminante sur le niveau de l’emploi et le régime du travail, même si une partie des politiques de régulation doit désormais être menée au niveau européen, voire mondial.

J’ai toujours été d’avis que la bataille pour le plein emploi et la lutte contre l’exclusion formaient un seul et même combat. En période de crise, ce combat ne peut être gagné que si l’Etat s’en mêle aussi, par le biais d’un plan de relance et d’une politique monétaire plus favorable à l’emploi et aux exportations, par des mesures d’impulsions, par l’anticipation de certains investissements et par des mesures préventives destinées à combattre le chômage, notamment en matière de formation continue.

Dans le domaine de la formation, il y a d’ailleurs beaucoup à faire, car si j’en crois une étude du Service jurassien des arts et métiers et du travail, 48 % des employés de l’industrie jurassienne ne sont pas qualifiés. C’est une triste réalité, mais c’est aussi une raison de plus pour nous mobiliser, d’ici au 18 mai, en faveur de l’initiative pour des places d’apprentissage. Aujourd’hui, 17 % seulement des entreprises forment des apprentis, alors que dans les années quatre-vingts, elles étaient encore 30 % à investir dans la formation professionnelle. Il est donc temps de renverser la vapeur !

Lorsqu’une question sociale est débattue dans l’arène politique, les politiciens bourgeois tiennent souvent ce langage : « Ce problème n’est pas le nôtre, il faut laisser les partenaires sociaux s’en occuper. » Et bien moi, chers collègues, je vous dis que ce partenariat social a bon dos. Car toujours selon la même étude du Service jurassien des arts et métiers et du travail, près de 75 % des entreprises jurassiennes ne sont pas signataires d’une convention collective de travail (CCT), alors que 58 % seulement des employés de l’industrie sont au bénéfice d’une CCT.

Ce constat montre que la majorité des employeurs jurassiens font partie de la frange la plus attardée du patronat. Il est d’autant plus tragique que dans une année entreront en vigueur les mesures d’accompagnement social liées à la libre circulation des personnes. Et pour que ces mesures soient opérationnelles en vue de combattre le dumping social et salarial que pourrait entraîner la libre circulation des personnes, il faut une réelle volonté politique. Or, cette volonté, je ne la sens pas, ni du côté jurassien, ni du côté bernois. La preuve, c’est que les syndicats du Canton du Jura et du Jura bernois ont proposé, voici quelque temps, la création d’une seule commission tripartite pour nos deux régions. Cela découlait de la logique la plus élémentaire, du fait que le marché du travail de l’ensemble de la région jurassienne est très homogène. Et bien non, les deux gouvernements ont élaboré un montage tellement compliqué que je ne suis pas sûr qu’ils l’ont eux-mêmes compris ! Mais il n’est jamais trop tard pour bien faire, d’autant plus que du côté jurassien, cette décision a été prise sous l’ancien régime, et que nous avons maintenant un nouveau gouvernement.

Je voudrais encore lancer un appel solennel à la droite et au patronat. Le mouvement syndical a clairement joué le jeu des accords bilatéraux. Mais à l’époque, il avait dit tout aussi clairement que son soutien était subordonné à une mise en œuvre efficace des mesures d’accompagnement. Aujourd’hui, Mesdames et Messieurs les bourgeois, il est tant de passer aux actes, et ceci d’autant plus qu’un autre défi se pointe à l’horizon, celui de l’élargissement de l’Union européenne et de l’extension de l’accord de la libre circulation des personnes aux dix nouveaux pays membres de l’Union.

Le mouvement syndical est favorable à l’élargissement de l’Union, car cette opération va accroître la stabilité du continent, favoriser la paix et permettre à de nouveaux pays d’adhérer à un projet qui ne doit pas seulement être celui d’une vaste zone de libre-échange, mais qui doit aussi avoir une ambition politique et sociale. En outre, l’extension des accords bilatéraux est favorable à l’emploi, car elle offrira de nouvelles possibilités aux industries suisses d’exportation.

Tout cela ne nous autorise cependant pas à nous voiler la face. Certains pays d’Europe centrale et orientale connaissent un chômage de masse (de l’ordre de 15 à 20 %) et le pouvoir d’achat y est sept à onze fois plus faible qu’en Europe occidentale. Dès lors, on imagine aisément que de nombreux travailleurs de ces pays chercheront à trouver un emploi en France, en Allemagne, en Autriche ou en Suisse.

Cette arrivée de salariés en provenance de l’Est n’est pas gênante. Mais il faut éviter qu’elle ne se transforme en instrument de pression sur les salaires et les conditions de travail. C’est pourquoi nous exigeons une amélioration des mesures d’accompagnement social, un renforcement des commissions tripartites, ainsi qu’un allégement supplémentaire des conditions d’extension d’une convention collective de travail à l’ensemble d’une branche économique. Nous demandons aussi que la Suisse reprenne certaines directives européennes de droit du travail, surtout en ce qui concerne les transferts d’entreprises et les licenciements collectifs.

Ces propositions ne sont pas l’expression d’un chantage, mais d’une exigence de cohérence. L’extension des accords bilatéraux va profiter aux entreprises d’exportation. Mais elle ne saurait se faire au détriment des salariés – suisses et immigrés – qui travaillent dans ce pays. Le patronat et la droite n’auront d’ailleurs qu’une marge de manœuvre limitée, car si la Suisse venait à refuser l’extension de la libre circulation des personnes, l’Union européenne dénoncerait tous les accords bilatéraux existants. On imagine la gabegie qui en résulterait…

Le slogan du 1er mai de cette année, vous le savez, c’est « Les femmes au cœur des syndicats ! L’union fait la force. » Ce slogan correspond déjà à une pratique syndicale, même si elle doit encore être améliorée. Pour prendre l’exemple de l’horlogerie, la convention collective de travail (CCT) de la branche est la plus généreuse en terme de congé-maternité, puisque celui-ci se monte désormais à 16 semaines et est payé à 100 %. Notre nouvelle convention a également introduit la possibilité de prendre un congé d’adoption, et elle mentionne la reconnaissance des acquis professionnels en entreprise. Comme les femmes, malheureusement, représentent une proportion plus importante de la main-d’œuvre non qualifiée, ce sont elles qui devraient en premier lieu profiter de cette innovation.

Ces exemples montrent que le mouvement syndical est l’organisation qui fournit le plus d’efforts en vue d’améliorer le statut social des femmes. En paraphrasant Aragon et Jean Ferrat, nous pouvons lancer un nouveau slogan : « Le syndicat est l’avenir de la femme » ! D’une autre manière, on pourrait aussi dire que les femmes sont l’avenir des syndicats.

Sur un plan plus général, les syndicats se sont battus contre le relèvement de l’âge de la retraite des femmes. Ils continueront de le faire, en lançant, si besoin est, un référendum contre la 11e révision de l’AVS, si celle-ci devait être par trop défavorable aux femmes, aux travailleurs et aux retraités. La campagne de l’USS contre les bas salaires s’inscrit aussi dans cette perspective.

Les exemples que j’ai cités montrent qu’il y a de la place pour les femmes au sein des syndicats. Mais il y en a aussi pour les travailleuses et les travailleurs migrants qui sont toujours plus nombreux dans nos rangs. Je suis fier de faire ce constat, car la construction de l’Europe et la mondialisation nécessiteront, de la part des syndicats, de renouer avec la grande tradition internationaliste du mouvement ouvrier, de mener toujours plus d’actions dépassant le cadre national. Une étude menée par deux chercheurs, Jean Steinauer et Malik Von Allmen, a montré que l’immigration a joué un rôle décisif dans l’histoire du syndicalisme suisse, et que sans cette immigration, ce syndicalisme suisse n’existerait peut-être plus ! Ces rappels sont utiles, surtout à une époque où la droite ultra-nationaliste pense que c’est en chassant les demandeurs d’asile, en embouchant les trompettes de la xénophobie que l’on résoudra tous les problèmes de notre société. Or, rien n’est plus faux, car dans toute l’histoire, ce sont les peuples et les pays qui se sont le plus ouverts aux autres qui ont été les plus prospères.

Sur le long terme, l’action syndicale a été l’un des principaux instruments de l’intégration des travailleurs migrants. Pour que cette intégration soit complète, nous devons encore partir à la conquête des droits politiques pour les migrants. Dans ce pays, un salarié sur quatre n’a pas le droit de vote. C’est un scandale et un cas unique en Europe. Avec quelques autres cantons, le Jura est à l’avant-garde dans ce domaine. Mais cette bataille en faveur des droits politiques des immigrés doit désormais être menée dans tous les cantons, avant d’être portée sur le plan fédéral. Et ceci d’autant plus que sur le plan européen, les ressortissants de l’Union bénéficient d’un certain nombre de droits politiques (sur le plan communal et pour les élections au Parlement européen) lorsqu’ils vivent dans un autre pays que le leur.

En raison des graves difficultés économiques que nous traversons, certains travailleurs ont parfois tendance à se décourager. Dans ces moments difficiles, j’aimerais leur rappeler que voici trente ans, une lutte historique et exemplaire s’est déroulée de l’autre côté de la frontière, celle des travailleurs de Lip. Leader syndical et figure marquante de cette lutte à Besançon, Charles Piaget a fait avec très peu de mots – mais des mots qui comptent – le bilan de cette grande bataille syndicale. Je cite : « Ce que je retiens de notre lutte, c’est qu’il ne faut jamais capituler. Il y a presque toujours des réponses à toutes les situations. » Fin de citation.

Et bien, chers collègues, dans ce pays aussi, de plus en plus de travailleuses et de travailleurs se mobilisent et refusent de capituler. Je pense notamment à la bataille menée par les travailleurs du bâtiment en faveur de la retraite à 60 ans, à la lutte des travailleuses et des travailleurs de Veillon, à la mobilisation des enseignants ou des fonctionnaires bernois ou encore à la lutte que mènent nos collègues de La Poste, non seulement pour défendre et améliorer leurs conditions de travail, mais aussi pour maintenir un service public digne de ce nom, en particulier dans les régions périphériques.

Oui chers collègues, il y a aussi des luttes en Suisse. Non seulement des luttes syndicales, mais aussi des combats menés par des mouvements sociaux, comme ceux des sans papiers et des altermondialistes. Tout en gardant leur indépendance, les syndicats et ces mouvements ont intérêt à fixer un certain nombre d’objectifs communs pour mieux lutter pour la paix, contre les injustices, l’ordre américain et la dictature des marchés financiers. C’est pourquoi je vous donne rendez-vous le 1er juin à Genève pour la grande manifestation anti-G8 qui, nous l’espérons, attirera quelque 300'000 personnes au bout du Lac !

En 1936, le grand mot d’ordre des Fronts populaires était : « Le pain, la paix, la liberté ». Depuis cette époque, le monde a considérablement changé, mais pour l’essentiel, les données fondamentales sont restées les mêmes. Aujourd’hui, nous devons toujours nous battre pour défendre le pain, la paix, la liberté. En définitive, c’est assez normal, car ces trois valeurs sont nos trois richesses fondamentales. Trois richesses que personne n’est autorisé à nous voler. Mais pour empêcher ce vol, il est indispensable de renforcer le mouvement syndical, de se mobiliser et de se battre.

Dans cet esprit, chers collègues, je vous souhaite une excellente Fête du 1er mai.

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Jean-Claude Rennwald - conseiller national
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