Tribune
6 semaines de vacances, car les Suisses bossent trop
Par Jean-Claude Rennwald, conseiller national (PS/JU),
secrétaire central Unia
Le
Conseil national a donc rejeté, la semaine dernière, par 110 voix
(droite) contre 61 (gauche) et 3 abstentions, l'initiative populaire de
Travail.Suisse visant à instituer six semaines de vacances pour toutes
les travailleuses et pour tous les travailleurs de ce pays. Ce résultat
n'est pas une surprise et, en définitive, c'est le peuple qui tranchera,
probablement en 2012.
D'abord les conventions: oui mais
Ce qui est plus consternant, ce sont les arguments utilisés par les
partis bourgeois pour combattre cette initiative. La droite économique
et politique estime en particulier que cette question doit être réglée
dans le cadre des conventions collectives de travail (CCT). Comme
syndicaliste, nous partageons résolument cette philosophie. Mais sa mise
en œuvre se heurte à deux problèmes de taille:
•
Aujourd'hui, moins de 50 % des travailleuses et des travailleurs de ce
pays sont au bénéfice d'une CCT, alors que les autres sont soumis au
minimum légal, soit 4 semaines de vacances pour tous. Or, dans ce cas de
figure, il ne sert à rien d'en appeler au partenariat social, car pour
que celui-ci fonctionne, il faut être deux ! C’est-à-dire un syndicat
d’un côté, une organisation patronales de l’autre.
•Même
dans le cadre des conventions collectives, il faut remonter à dix ou
quinze ans, voire davantage, pour constater un certain nombre d'avancées
substantielles dans le domaine du droit aux vacances, alors que sur le
plan légal, la dernière amélioration a été mise en œuvre voici 25 ans !
Catastrophe économique?
La droite a aussi insisté sur le fait que la généralisation des six
semaines de vacances porterait atteinte à la compétitivité de l'économie
suisse, voire nous conduirait à la catastrophe économique. Encore une
fois, ce raisonnement ne tient pas. En l'espace de 150 ans, le temps de
travail a été divisé par deux, alors que nous produisons toujours plus
de richesses. Or, si le raisonnement de la droite politique et
économique était vraiment juste, nous devrions être retournés à l'époque
des hommes des cavernes. Manifestement, ce n'est pas le cas! Et surtout,
l’intensification des rythmes de travail génère un stress incroyable,
lequel coûte 10 milliards (perte de gain, médecins, hôpitaux, etc.) par
année à la collectivité !
Augmentation de la productivité
De manière plus générale, l'introduction de la sixième semaine de
vacances nous paraît d'autant plus légitime que nous vivons une période
marquée par l'incertitude, l'augmentation quasi continuelle de la
productivité (nettement plus importante que celle des salaires, par
exemple), des rythmes de travail et du stress, ce qui a des conséquences
multiples sur la santé physique et psychique des travailleuses et des
travailleurs. Par ailleurs, les Suisses bossent trop. Si l'on établit un
rapport entre vacances et durée annuelle du travail, cette relation est
très défavorable à la Suisse, puisque ce taux est de 11 % dans notre
pays, mais de 12 % en Grande-Bretagne, de 13 % en Allemagne et en
Italie, de près de 16 % en France et en Suède. Pis encore, si l'on
additionne les jours de congé et les jours fériés en Europe, la Suisse
se situe au bas de l'échelle avec 28,4 jours, alors que ce chiffre
oscille entre 28,5 jours aux Pays-Bas et 39,7 jours en Allemagne. Seule
l'Irlande fait plus mal que la Suisse, alors que sa situation économique
est catastrophique... Cet exemple montre clairement qu’il n’y a pas de
développement économique possible sans progrès social.
Croissance et emploi
Enfin, nous n'avons jamais prétendu que la réduction du temps de travail
créait automatiquement des emplois. Car c'est la croissance qui génère
des emplois. Mais à croissance égale, on peut offrir du travail à un
plus grand nombre de personnes avec une diminution de la durée du
travail. En France, et malgré leurs défauts, les lois Aubry sur la
semaine de 35 heures ont tout de même permis de créer 300'000 emplois à
l’époque du gouvernement Jospin, période caractérisée par une croissance
presque jamais égalée durant toute l’histoire française contemporaine.
Qui dit mieux?
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