Tribune
Démocratie, que de crimes …

Par Jean-Claude Rennwald, conseiller national (PS/JU), secrétaire central Unia

Une partie des politiciennes, des politiciens et des partis politiques ont une conception assez singulière de la démocratie et de son fonctionnement. On a pu s’en apercevoir une nouvelle fois à l’occasion de trois débats qui ont eu lieu la semaine dernière au Conseil national. Récit d’une pièce politique en trois actes.

Pour l’ASIN, la lenteur prime
Premier acte. Alors qu’ils sont opposés à tout approfondissement de la démocratie dans la plupart des domaines de l’activité humaine (renforcement de la présence des femmes dans les parlements et les gouvernements, octroi des droits de vote et d’éligibilité aux migrants ou introduction d’une dose de démocratie sociale et économique à l’intérieur des entreprises, l’UDC et son principal satellite, l’ASIN (Association pour une Suisse indépendante et neutre) ont lancé et soutiennent une initiative populaire qui vise à soumettre un maximum de traités internationaux au référendum obligatoire, c'est-à-dire à la double majorité du peuple et des cantons.

L’acceptation de cette initiative, que tous les autres partis ont combattue, aurait pour principal effet de freiner considérablement le rythme de notre politique extérieure et de porter ainsi atteinte à sa crédibilité. Avec ce système, les accords de Schengen/Dublin auraient par exemple coulé, car ils avaient réuni la majorité du peuple, mais pas celle des cantons. Ce qui n’a pas empêché Pirmin Schwander, président de l’ASIN, d’affirmer que « la démocratie directe est plus importante que la rapidité des procédures ».

Le « meilleur » ministre des finances
Deuxième acte. Le 28 février 2008, c’est à une très faible majorité (50,5 % des votants et avec 19'000 voix d’écart) que le peuple avait accepté une réforme de la fiscalité des entreprises. Aujourd’hui, ce même texte serait très certainement rejeté à une majorité écrasante. C’est qu’entretemps, on s’est aperçu que ce projet ne coûterait pas « seulement » 84 millions, comme Hans Rudolf Merz l’avait affirmé à l’époque, mais que le manque à gagner, pour la Confédération et les cantons, grimperait à hauteur de 7 milliards. Dans n’importe quelle autre démocratie, sauf peut-être en Italie, le soi-disant « meilleur ministre des finances d’Europe » comme l’appelle ses amis radicaux, aurait été limogé sur le champ, alors qu’un étudiant en sciences économiques aurait été invité à revoir son devoir. En 2008, le peuple suisse n’a donc pas voté en connaissance de cause. Il conviendrait donc de répéter le vote. Le Conseil fédéral ne veut pas en entendre parler pour l’instant. Mais il pourrait changer son fusil d’épaule, du fait que les deux cantons les plus peuplés du pays, Berne et Zurich, viennent de demander une nouvelle votation, alors que le PS a déposé un recours au Tribunal fédéral. On l’a bien fait une fois à propos de l’avenir du Laufonnais, pourquoi pas revoter sur une question qui concerne toutes les citoyennes et tous les citoyens de notre pays, sans exception aucune ?

T’en fais pas Johnny
Troisième acte. Environ 5'000 étrangers -  plutôt des gros bonnets – résidant en Suisse bénéficient d’un forfait fiscal avantageux. Parmi ceux-ci, on trouve par exemple le pilote de formule I Michael Schumacher, Johnny Hallyday ou encore l’acteur français Jean Reno. Et bien, tout ce beau monde n’a pas trop de soucis à se faire, puisque la majorité bourgeoise du Conseil national a aussi bien rejeté une initiative du canton de Saint-Gall qui voulait supprimer ces forfaits fiscaux, qu’une initiative parlementaire de la socialiste Suzanne Leutenegger Oberholzehr, qui demandait de les imposer plus fortement. La majorité de la Chambre du « peuple » a du même coup maintenu des privilèges indus, puisque Michael Schumacher, par exemple, ne s’acquitterait que de 10 % des impôts qu’il devrait normalement payé s’il était taxé comme vous et moi. A propos, la définition de la démocratie, c’est bien « Un homme (une femme), une voix ? En paraphrasant Paul Eluard, on pourrait aussi dire : « Démocratie, que de crimes on commet en ton nom ! »