Défaites
régulières de la gauche politique, syndicale et associative lors des
votations fédérales.
Comment
éviter de nouvelles Bérézina ?
Par Jean-Claude Rennwald
9 décembre 2001
Introduction
Exception faite de
l’initiative de l’USS « pour un impot sur les gains en capital »
(35 % de OUI, score honorable), le scrutin fédéral du 2 décembre 2001 a
pris l’allure d’une véritable Bérézina pour les forces
progressistes du pays. Ce n’est malheureusement pas la première fois
que des échecs de cette ampleur se produisent. Il importe par conséquent
de réfléchir aux moyens d’éviter la répétition de telles
catastrophes, lesquelles ne peuvent qu’entraîner un découragement et
une démobilisation d’une bonne partie des citoyens ainsi que des
militants des différentes composantes de la gauche politique, syndicale
et associative.
Tentative
d’explication
Pour tenter de comprendre
ce qui s’est passé dans ce domaine depuis un certain nombre d’années,
et pour essayer de dégager des pistes d’action pour l’avenir, nous
avons répertorié, depuis les élections fédérales d’octobre 1995,
tous les sujets qui ont fait l’objet d’une votation fédérale à la
suite d’une initiative ou d’un référendum lancé par une ou
plusieurs composantes du « mouvement progressiste » (PS,
autres partis de gauche, syndicats, écologistes, pacifistes, etc.). Seule
entorse à cette règle, la prise en compte du contreprojet à
l’initiative solaire, du fait que sans cette initiative, il n’y aurait
pas eu de contreprojet. Nous avons ensuite classé les résultats dans
deux groupes, à savoir :
-
Les
résultats positifs pour les forces progressistes (40 % et plus des
voix favorables au mot d’ordre de l’organisation à l’origine du
référendum ou de l’initiative).
-
Les
résultats très négatifs pour les forces progressistes (25 % et
moins des voix favorables au mot d’ordre de l’organisation à
l’origine du référendum ou de l’initiative).
-
Dans
l’un et l’autre cas, nous avons ensuite essayé de dégager des
points communs entre les différents résultats des deux catégories.
Résultats positifs
pour les forces progressistes (40 % et plus)
Date |
Sujet |
Résultat |
13.06.99 |
Révision
de l’AI |
70
% de NON |
01.12.96 |
Référendum
Loi sur le travail |
67
% de NON |
28.09.97 |
Référendum
AFU chômage |
51
% de NON |
24.09.00 |
Contreprojet
initiative solaire |
47
% de OUI |
27.11.00 |
Retraite
à la carte dès 62 ans |
46
% de OUI |
08.02.99 |
Aménagement
du territoire |
44
% de NON |
27.09.98 |
Initiative
de rattrapage AVS |
42
% de OUI |
Points communs
-
Sujet
relativement facile à comprendre.
-
Titre
compréhensible (Les écarts de voix entre les différentes votations
sur l’AVS sont révélateurs !)
-
Thèmes
rassembleurs.
-
Tous
les sujets sont de nature socio-économique et touchent le monde du
travail, certes dans une moindre mesure en ce qui concerne le
contreprojet à l’initiative solaire et la loi sur l’aménagement
du territoire. Les revendications écologistes réalistes sont bien
perçues, surtout si elles sont liées à l’emploi
-
Sujets
pas répétitifs (sauf l’AVS).
-
Revendication
considérée comme crédible par la base du mouvement, dans le sens
d’un changement qui paraît possible.
-
Unité
des forces progressistes.
-
Front
assez large, qui dépasse souvent les rangs de la gauche (Meilleur
exemple : la loi sur le travail, combattue non seulement par la
gauche et les syndicats, mais aussi par les Eglises, des franges plus
ou moins importantes du PDC et des radicaux, ainsi que des milieux
associatifs). Dans ce cas comme dans d’autres, les alliances
existaient avant la votation, ce qui est un gage de succès supplémentaire.
-
Mobilisation
importante, tant au moment de la collecte des signatures que durant la
campagne de votation, mais aussi à l’intérieur du (ou des)
mouvement concerné.
Résultats très négatifs
pour les forces progressistes (25 % et plus)
Date |
Sujet |
Résultat |
12.03.00 |
Initiative
des quotas |
18
% de OUI |
04.03.01 |
Rue
pour tous |
20
% de OUI |
12.03.00 |
Réduction
½ trafic motorisé |
22
% de OUI |
02.12.01 |
Suppression
de l’armée |
22
% de OUI |
08.06.97 |
Interdiction
export. matériel guerre |
23
% de OUI |
27.09.98 |
Initiative
petits paysans |
23
% de OUI |
02.12.01 |
Taxe
sur l’énergie |
23
% de OUI |
07.06.98 |
Police
fouineuse |
25
% de OUI |
Points
communs
-
Mouvement
progressiste généralement divisé.
-
Sujets
souvent trop compliqués et parfois tabous (Exemple : quotas,
trafic routier).
-
Thèmes
peu rassembleurs et ne concernant que certains secteurs de
l’opinion, voire de la base du mouvement progressiste.
-
Pratiquement
aucun sujet socio-économique, mais essentiellement des thèmes
« de société » (quotas, armée, trafic).
-
Revendications
considérées comme peu réalistes, en ce sens que le changement
demandé ne paraît pas possible.
-
Thèmes
écologistes trop fondamentalistes.
-
Mobilisation
faible ou insignifiante.
-
Décalage
important entre le lancement de l’initiative et son passage en
votation (Exemple révélateur : police fouineuse, mais aussi
l’impôt sur les gains en capital).
-
Sujets
à répétition (Exemples : armée, taxes sur l’énergie).
Remarques
méthodologiques
-
A
l’exception du contreprojet à l’initiative solaire, nous
n’avons pris en compte que des initiatives et des référendums lancés
par la gauche, au sens large, même si d’autres sujets pourraient
figurer dans l’analyse. Exemple : l’initiative « Oui à
l’Europe » (23 % de OUI le 4 mars 2001), lancée par un front
plus large que la gauche.
-
Des
résultats qui ne se situent dans aucun de nos deux groupes (Exemples :
35 % de OUI à l’initiative sur les gains en capital, 61 % de NON à
l’assurance maternité), apporteraient sans doute aussi des éléments
de réflexion intéressants, mais risqueraient de trop compliquer les
choses, d’autant plus que dans le cas de l’assurance maternité,
le référendum émanait de milieux de droite.
Conclusions
(provisoires)
-
La
gauche doit être beaucoup plus sélective, doit mieux cibler les
revendications qu’elle amène en votation
-
Elle
doit se c concentrer sur les thèmes socio-économiques et du monde du
travail, qui paraissent porteurs, alors que les sujets « de société »
(armée, quotas, trafic, etc.) intéressent beaucoup moins de monde.
Exception : les sujets écologiques « réalistes »,
notamment ceux qui permettent de faire un lien avec l’économie et
l’emploi.
-
Les
bonnes campagnes se font non seulement avant la votation, mais aussi
au moment de la récolte des signatures et, mieux encore, avant le
lancement de l’initiative ou du référendum (faire partager
l’objectif par la base, en débattre à l’interne).
-
Dans
la majorité des cas de bons résultats, l’engagement du mouvement
syndical a joué un rôle déterminant, de même que l’existence
d’une alliance déjà au moment du lancement du référendum ou de
l’initiative.
-
Sauf
pour des thèmes qui constituent une sorte de permanence pour la
population (Exemple typique : l’AVS), la gauche doit éviter
les votations à répétition.
-
La
gauche doit réussir à convaincre d’autres forces (politiques, mais
aussi, et peut-être surtout associatives), de la justesse de ses
revendications.
-
Tout
cela ne doit pas empêcher la gauche de mener certaines batailles de
principe (Exemple : l’asile), même si celles-ci sont perdues
d’avance.
-
Les
batailles perdues d’avance doivent cependant rester l’exception,
et ne pas devenir la règle
|