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Article paru dans la revue « zOOn pOlitikOn », octobre 2005

Être ou ne pas être

Le séparatisme jurassien à la recherche d’un second souffle?

Par Jean-Claude Rennwald, conseiller national (PS/JU),
vice-président de l’USS

Depuis son entrée en souveraineté, le Canton du Jura s’est de plus en plus intégré aux comportements politiques dominants sur le plan suisse. Cette évolution freine la relance de la Question jurassienne dans la partie du Jura restée sous souveraineté bernoise. Le séparatisme jurassien ne trouvera un second souffle que s’il parvient à devenir un groupe d’intérêt puissant à l’intérieur du Canton du Jura et à insérer la lutte pour le rétablissement de l’unité jurassienne dans une action plus globale, prenant en compte les difficultés socio-économiques des régions périphériques. 

Un quart de siècle après l’entrée en souveraineté du Canton du Jura (1979), la création d’un nouvel Etat confédéré n’a pas résolu définitivement la Question jurassienne. Dans la partie du Jura demeurée sous souveraineté bernoise, la minorité autonomiste continue de se battre pour le rétablissement de l’unité jurassienne et l’Etat jurassien est officiellement favorable à cette unité. Toutefois, par rapport à la période qui va du plébiscite d’autodétermination du 23 juin 1974 au vote fédéral du 24 septembre 1978 sur le Jura en passant par les travaux de l’Assemblée constituante jurassienne (1976-1978), les données du problème ont changé. Sur le territoire du Canton du Jura, la scène politique a subi des transformations fondamentales, en ce sens que depuis 1979, le système politique jurassien n’a cessé de se rapprocher du système politique suisse.

Le Jura toujours plus proche de la Suisse

Cette affirmation peut être vérifiée au moyen de nombreuses données empiriques :

• Marqué par son caractère nationaliste et interclassiste, le conflit jurassien ne s’inscrivait que difficilement dans les clivages politiques classiques. Les partis politiques et les groupes d’intérêt étaient relégués à l’arrière-plan. Aujourd’hui, ceux-ci jouent un rôle central à l’intérieur du Canton du Jura et les clivages gauche-droite et syndicats-patronat ont repris plus d’importance.

• La Question jurassienne avait favorisé l’émergence, dans le Jura, d’une culture politique spécifique, caractérisée par une attitude très souvent contestataire à l’occasion des scrutins fédéraux et par d’importantes mobilisations populaires (contre un projet de place d’armes aux Franches-Montagnes ou contre les résidences secondaires). Or, cette culture politique originale et ce «vote anticonformiste» même s’ils n’ont pas complètement disparu, sont en régression. La Fête du peuple jurassien, qui a attiré des dizaines de milliers de personnes durant des décennies, a pris des allures de réunion familiale ou de fête foraine.

• En ce qui concerne les scrutins populaires, les citoyennes et les citoyens jurassiens sont parmi les Suisses les plus ouverts à l’Europe (oui à l’EEE le 6 décembre 1992, oui aux accords bilatéraux I en 2000, oui à Schengen/Dublin) et au monde (63 % de oui à l’adhésion de la Suisse à l’ONU en 2002). Ils sont aussi des plus attachés aux assurances sociales (oui net à l’assurance maternité en 1999 et 2004, rejet massif de la 11e révision de l’AVS en 2004) et aux services publics (71 % de oui à l’initiative «Services postaux pour tous» en 2004, rejet catégorique de la loi sur le marché de l’électricité en 2002). Les initiatives xénophobes font de mauvais scores dans le Jura (non à l’initiative «Contre les abus du droit d’asile» en 2002, oui en 2004 à la naturalisation facilitée pour les étrangers de la deuxième génération et à l’acquisition de la nationalité pour la troisième génération). Pourtant, les votes jurassiens de ces dernières années montrent un recul du rejet des institutions militaires et policières, rejet qui caractérisait le Jura dans les années 1960 à 80 (non à l’initiative «Pour une interdiction d’exporter du matériel de guerre», en 1997, non à l’initiative «SOS – pour une Suisse sans police fouineuse» en 1998, non à la deuxième initiative du GSsA pour la suppression de l’armée en 2001). La majorité des citoyennes et des citoyens du Canton du Jura ont même approuvé le durcissement de la loi sur l’asile en 1999. Les thèmes liés à l’environnement ne font plus recette (non à l’initiative solaire, au contreprojet qui lui était opposé et à la redevance incitative sur l’énergie en faveur de l’environnement en 2000, non à l’«Initiative des dimanches» ainsi qu’aux initiatives «Sortir du Nucléaire» et «Moratoire-plus» en 2003). Même sur certains sujets sociaux, les Jurassiens se montrent plus frileux (non à l’imposition des gains en capital, en 2001, non à l’initiative pour une durée du travail réduite en 2002, non à l’initiative «pour des loyers loyaux», à l’ «Initiative-santé», et à l’initiative «pour des places d’apprentissage» (toutes trois en 2003). S’agissant des votations sur des thèmes «de société», la position conservatrice des Jurassiens s’inscrit dans une tradition bien établie (non à l’initiative Droleg en 1998, à la prescription médicale d’héroïne en 1999, à la loi sur le partenariat enregistré pour les couples de même sexe en 2005). En revanche, on assiste à un alignement certain du Jura sur le reste de la Suisse lors de scrutins portant sur la sécurité sociale, l’armée, l’énergie nucléaire ou l’ordre public.

• Le Mouvement autonomiste jurassien (MAJ), qui a succédé au Rassemblement jurassien (RJ), ne joue plus qu’un rôle très subsidiaire à l’intérieur du nouveau canton. Certes, il est encore capable d’impulser des mobilisations et d’obtenir des succès sur le territoire de l’Etat jurassien, comme il l’a montré avec l’initiative UNIR. Déposée le 15 novembre 1989, cette initiative, qui a récolté 23'338 signatures (presque un citoyen sur deux), précisait que «l’unité institutionnelle du Jura constitue l’un des principaux objectifs du Parlement et du Gouvernement de la République et Canton du Jura». Elle replaçait le Jura dans une position d’Etat de combat. Sur requête du Canton de Berne, elle a été déclarée nulle par le Tribunal fédéral en 1992. Toutefois, le mouvement autonomiste n’est plus en mesure d’exercer un «contrôle» du système politique, comme le RJ pouvait le faire à l’époque de l’Assemblée constituante. Cette perte d’influence se manifeste de manière spectaculaire lorsque l’on se penche sur les principales sphères de l’appareil d’Etat : au gouvernement, au parlement, le poids du mouvement autonomiste a considérablement diminué, alors qu’il n’a jamais joué un rôle important dans la haute administration, parmi les magistrats, dans les commissions d’experts et les conseils d’administration des sociétés publiques.

Après l’autonomie, le conflit de classe redevient prédominant

Le conflit nationaliste a progressivement cédé le pas aux affrontements politiques classiques. En comparant la problématique jurassienne avec les cas algérien et québécois, il apparaît que les évolutions de ce type ont des origines structurelles. Lorsque se pose la question de la construction d’un nouvel Etat – ou plus simplement de la prise du pouvoir - après la lutte ou le scrutin qui permit l’émancipation nationale, le conflit de classe l’emporte presque toujours sur les affrontements ethnoculturels.

Cette évolution s’est traduite, dans le Canton du Jura, par le développement d’un bloc au pouvoir dont la composition est différente de la coalition qui a mené la bataille de l’autonomie cantonale.

De 1978 jusqu’à nos jours, la composition du gouvernement cantonal a évolué de la manière suivante :

• 1978-1986 : 2 PDC, 1 PRR, 1 PCSI, 1 PS.

• 1986-1993 : 2 PDC, 1 PLR, 1 PCSI, 1 PS.

• 1993-1994 : 3 PDC, 1 PCSI, 1 CS.

• 1994-2002 : 3 PDC, 1 PLR, 1 PS.

• 2002 -           : 2 PDC, 1 PCSI, 2 PS.

Signification des sigles : PDC = Parti démocrate-chrétien ; PRR = Parti radical réformiste ; PLR = Parti libéral-radical, équivalent du Parti radical démocratique suisse (PRD) ; PCSI = Parti chrétien-social indépendant ; PS = Parti socialiste ; CS = Combat socialiste.

Durant les huit premières années de souveraineté du Canton du Jura, son gouvernement est l’exact reflet de la «coalition du 23 juin» qui, sous l’égide du RJ, a mené la bataille pour l’autonomie cantonale. Le Parti libéral-radical, qui avait laissé la liberté de vote avant le plébiscite du 23 juin 1974, n’en fait pas partie. On note par contre la présence du Parti radical réformiste, dissidence autonomiste du PLR.

Le gouvernement jurassien connaît ensuite quatre compositions différentes. Ce qu’il faut en retenir, c’est qu’entre 1986-1993 et 1994-2002, soit durant une période de quinze ans, les trois principales formations politiques jurassiennes (PDC, PLR et PS) font partie de l’exécutif cantonal. Ces trois partis étant aussi les plus importants sur le plan national, on assiste à un rapprochement entre les systèmes politiques jurassien et suisse.

L’entrée d’une deuxième socialiste au gouvernement cantonal, en 2002, et la non réélection de la ministre radicale sortante laisse supposer que l’on est en présence d’une nouvelle rupture. Mais, si l’on y regarde de près, le renforcement du PS jurassien (entamé dès 1995, avec l’élection de deux socialistes jurassiens aux Chambres fédérales, au détriment de deux radicaux) va de pair avec la polarisation de la vie politique suisse. Certes, comme elle a toujours combattu l’idée d’un nouveau canton, l’UDC est faible dans le Jura (deux députés sur soixante). Mais le clivage PS – PDC qui est le trait dominant de la vie politique jurassienne peut être mis en parallèle avec le clivage PS – UDC qui caractérise la Suisse depuis les années 90, ceci d’autant plus que le PDC jurassien adopte désormais une orientation plus conservatrice qu’à l’époque de l’Assemblée constituante et des premières années de souveraineté.

Années 1990 : la Question jurassienne s’enlise

Ajoutée au fait que le vote fédéral du 24 septembre 1978 (oui du peuple à 82 % et de tous les cantons) a contribué à intégrer le Jura à la Suisse, le rapprochement des cultures politiques suisse et jurassienne n’a pas été de nature à favoriser la relance de la Question jurassienne dans la partie du Jura demeurée bernoise. Certes, en avril 1993, la publication du rapport de la Commission Widmer (instituée en 1992 par le Conseil fédéral et les gouvernements jurassien et bernois dans le but de trouver une solution au problème jurassien) a pu faire illusion durant quelque temps. Présidée par Sigmund Widmer, ancien maire de Zurich, et comprenant quatre conseillers d’Etat romands, cette commission proposait ni plus ni moins que de réconcilier les deux parties du Jura par la création d’un nouveau canton dans un délai de sept ans. Cette opération ne se ferait toutefois pas à n’importe quel prix : les Jurassiens du Sud devraient d’abord obtenir la garantie d’être équitablement représentés dans le nouveau canton.

L’espace d’un moment, ce rapport a représenté un immense espoir pour la minorité autonomiste du Jura méridional. Douze ans plus tard, la solution préconisée par la Commission Widmer n’a toujours pas pu être mise en œuvre. Plusieurs éléments permettent de comprendre ce blocage :

• L’idée d’un partage de souveraineté entre le Nord et le Sud du Jura va à l’encontre des intérêts objectifs du PDC, qui perdrait l’hégémonie relative qui est aujourd’hui la sienne dans le Canton du Jura, et cela au profit du PS.

• Un tel partage de souveraineté devrait à première vue séduire les antiséparatistes du Jura bernois, car il ne s’agit pas d'une réunification imposée par le Canton du Jura. Mais une bonne partie de ces antiséparatistes sont en quelque sorte des «doubles nationaux» (ni vraiment Bernois, ni véritablement Jurassiens). Tout en ayant l’impression d’être les laissés-pour-compte du Canton de Berne, ils ne font pas pour autant confiance à un Etat jurassien dominé par la démocratie-chrétienne et qui, de surcroît, n’a pas su mettre en place des projets sociaux, économiques et culturels susceptibles de le rendre suffisamment attractif.

• Le 25 mars 1994, le Conseil fédéral, le Conseil exécutif du Canton de Berne et le Gouvernement jurassien ont conclu un accord «relatif à l’institutionnalisation du dialogue interjurassien». Les trois partenaires précisaient que l’objectif de ce dialogue consiste à «régler politiquement le conflit jurassien». Cette tâche a été confiée à une Assemblée interjurassienne (AIJ) comprenant douze représentants du Canton du Jura et douze du Jura bernois. Elle a commencé ses travaux le 11 novembre 1994. Plus de dix ans après, l’AIJ n’a pas encore été en mesure de trouver des solutions concrètes au problème jurassien. Et cela notamment parce que la partie bernoise a pris prétexte de l’initiative «Un seul Jura» déposée par le MAJ en septembre 2003 - initiative demandant aux autorités cantonales jurassiennes de présenter «une proposition de partage de souveraineté sur l’ensemble du territoire jurassien des six districts de langue française» - pour freiner la mise en route d’une telle étude par l’AIJ. Précisons toutefois que le 8 septembre 2005, les gouvernements des cantons de Berne et du Jura, sous les auspices de la Confédération, ont donné à l’AIJ le mandat de mener « une étude concernant une nouvelle entité politique de type cantonal à six districts », parmi d’autres solutions.

• En demandant l’organisation, en 1998, d’un vote consultatif à Moutier sur l’appartenance cantonale de la ville, le mouvement autonomiste a peut-être joué trop rapidement son dernier joker, puisqu’une majorité de la population s’est prononcée pour le maintien dans le Canton de Berne.

• La cause jurassienne, qui avait mobilisé des milliers de jeunes dans les années soixante et septante, suscite un désintérêt croissant auprès de la jeunesse, d’autant plus qu’il devient toujours plus difficile de trouver un emploi dans la région. Déçue par un canton qui se recroqueville toujours plus sur lui-même et qui cultive à l’excès l’esprit de clocher, une partie de cette jeunesse a préféré s’investir dans d’autres projets politiques, l’Europe puis l’altermondialisme en particulier.

• Enfin, le poids des difficultés économiques a diminué l’importance de la lutte nationale. Tant le Canton du Jura que le Jura bernois connaissent un taux de chômage supérieur à la moyenne nationale, proche de 5 % en 2004.

Devenir un groupe d’intérêt influent, élargir ses objectifs

En s’inspirant des travaux de Charles Tilly (Social movements and national politics, 1984) sur le devenir des mouvements sociaux, on peut affirmer qu’une fois l’indépendance – ou l’autonomie – acquise - un mouvement nationaliste peut s’engager sur quatre voies différentes :

  1. Disparaître purement et simplement.
  2. Se transformer en parti politique.
  3. Se transformer en groupe d’intérêt.
  4. Définir de nouveaux buts, allant soit en direction d’une intégration au nouveau système politique, soit dans le sens d’une radicalisation.

Le mouvement autonomiste jurassien, s’il entend relancer son action et regagner du crédit, devrait combiner les voies 3 et 4. Cela signifie qu’il doit redevenir plus influent au sein de l’Etat jurassien, notamment en soutenant «ses» candidats lors des élections cantonales. Cela suppose un renforcement des partis (le PS en particulier) qui ont un intérêt objectif au rétablissement de l’unité du Jura et un affaiblissement de ceux (notamment le PDC) qui ont beaucoup à y perdre.

Parallèlement, le mouvement autonomiste devrait élargir ses objectifs, en s’impliquant dans le combat pour la défense des régions périphériques (transports, décentralisation de l’administration fédérale, politique régionale, coopération transfrontalière). Une telle stratégie pourrait séduire les antiséparatistes du Jura bernois qui sont déçus par la politique du Canton de Berne mais qui n’acceptent pas encore l’idée d’un Canton du Jura à six districts. Enfin, le mouvement autonomiste ne pourra pas faire l’économie d’une discussion sur l’idée d’un Supercanton de l’Arc jurassien (Jura, Jura bernois, Neuchâtel), en la situant dans une perspective européenne et de refonte du fédéralisme.

Nationalrat Jean-Claude Rennwald (52) aus Courrendlin (JU) hat an der Universität Lausanne Politikwissenschaft studiert und an der Universität Genf bei Professor Kriesi doktoriert. Er war 20 Jahre als Journalist tätig und ist heute im Vorstandskomitee der Gewerkschaft Unia und Vizepräsident des Schweizerischen Gewerkschaftsbunds (SGB). Seit 1995 ist er SP-Nationalrat.

Seine Dissertation schrieb er über die Jura–Frage der Jahre 1970 bis 1991. Weitere Werke publizierte er zu verschiedenen Themen der schweizerischen und europäischen Politik. Weiter Informationen unter www.rennwald.ch.
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Bibliographie sommaire

HAUSER Claude (1997), Aux origines intellectuelles de la Question jurassienne. Culture et politique entre la France et la Suisse romande (1910-1950), Courrendlin, CJE, 528 p.

LOISEL Jean-Pierre (1984), La mobilisation nationalitaire dans une démocratie consociationnelle. Le cas du Jura suisse (1947-1974), Paris, Université Panthéon-Sorbonne, 384 p.

RENNWALD Jean-Claude (1994), La transformation de la structure du pouvoir dans le Canton du Jura 1970-1991. Du séparatisme à l’intégration au système politique suisse, Courrendlin, CJE, 712 p (thèse de doctorat dirigée par le professeur Hanspeter Kriesi). 

RENNWALD Jean-Claude (1995), Nord-Sud, le partage. Ce que pourrait être un Canton du Jura à six districts, Courrendlin, CJE, 1995, 223 p. 

RUCH Christian (2001), Struktur und Strukturwandel des jurassischen Separatismus zwischen 1974 und 1994, Bern, Haupt, 599 p. 

VOUTAT Bernard (1992), Espace national et identité collective. Pour une sociologie politique du conflit jurassien. Lausanne, Institut de science politique, 464 p.

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