Opinion
Election au Conseil fédéral : y –a-t-il de la politique dans l’avion ?

Par Jean-Claude Rennwald, conseiller national (PS/JU), vice-président de l’USS

Ces dernières semaines, plusieurs citoyens m’ont fait part de leur sentiment : la double élection au Conseil fédéral constitue un non événement. Je ne peux que partager leur point de vue. Plus encore, les vrais enjeux ne sont pas abordés par la campagne actuelle :

Aucun véritable débat n’a eu lieu sur le bilan des deux conseillers fédéraux sortant. Malgré de nombreuses critiques (UBS, crise libyenne, etc.), force est d’admettre que Hans-Rudolf Merz a mené, pour l’essentiel, une politique conforme aux exigences de sa famille politique constituée des néolibéraux et du patronat ; une politique fondée sur l’austérité budgétaire, l’allégement de la fiscalité pour les plus fortunés ou encore un projet de TVA à taux unique, préjudiciable aux plus démunis. D’un point de vue de gauche, on ne peut pas en dire autant de Moritz Leuenberger. Certes, les socialistes peuvent être fiers de ses réalisations dans le domaine des infrastructures et de sa politique européenne des transports. On aurait toutefois souhaité qu’il soit plus en phase avec les travailleurs et les travailleuses sur des questions comme le service postal, le marché de l’électricité et qu’il ne fasse pas de déclarations inopinées sur l’augmentation de l’âge de la retraite ou qu’il ne qualifie pas « d’ irresponsable » le comportement des membres du syndicat Swiss Pilots lorsque ceux-ci ont fait grève durant un jour en 2006en vue d’aboutir à la conclusion d’une convention collective de travail.

Le bruit médiatique fait autour de cette double élection cache le fait qu’elle ne changera rien aux rapports de force dans ce pays, notamment entre le travail et le capital. C’est qu’en l’espace d’une vingtaine d’années, la marge de manœuvre des socialistes au Conseil fédéral s’est considérablement réduite, sous les effets conjoints du néolibéralisme et de la montée de l’UDC.

De manière générale, aucune réflexion sérieuse n’est menée sur la composition culturelle et politique du Conseil fédéral. Certes, il est légitime que les cantons qui n’ont pas ou peu eu de conseillers fédéraux dénoncent cet état de fait. Mais le temps n’est-il pas venu de dépasser les frontières cantonales et de se demander si la cohésion du pays ne serait pas mieux assurée avec un gouvernement comptant en permanence quatre Alémaniques, deux Romands et un représentant de la Suisse italienne ou rhéto-romanche ? Quant à ceux qui pensent que la présence de cinq femmes au Conseil fédéral présenterait un « risque », ils feraient bien de se demander si l’existence d’un gouvernement exclusivement masculin durant près d’un siècle et demi (1848 – 1984) n’a pas été beaucoup plus « dangereuse ». A ce chapitre, le plus grave c’est que personne ou presque ne remet en question la présence de l’UDC au Conseil fédéral. Or, l’UDC n’est pas un parti comme les autres. C’est le parti de l’isolationnisme, de l’intolérance et de la haine. Le drame, c’est que sous la pression de l’UDC, le centre de gravité de la politique suisse s’est tellement infléchi à droite que le PDC et les libéraux-radicaux, spécialement en Suisse alémanique, essaient parfois de faire « mieux » que l’UDC. Ils espèrent ainsi se ménager des suffrages sans comprendre que l’inverse est vrai : plus ils seront sous la botte du parti de Blocher, plus ils deviendront une espèce en voie de disparition.

Le petit jeu consistant à jouer Zurich contre Berne, une femme de plus contre un homme, la Suisse du Nord-Ouest contre Saint-Gall a pour principal effet de contribuer à anéantir tout débat sur les grands défis qui concernent l’existence concrète et quotidienne de l’ensemble de la population :

Comment opérer une reconversion sociale et écologique de l’économie ?

Comment consolider et améliorer notre sécurité sociale, de manière à ce que les gens, par exemple, ne doivent pas travailler jusqu’à 65 ans et plus, mais qu’ils puissent bénéficier d’une retraite flexible dès 62 ans ?

Comment aménager le travail et les horaires de façon à pouvoir concilier activité professionnelle d’un côté, vie sociale et familiale de l’autre ? Comment travailler moins tout en créant suffisamment de richesses ?

Comme assurer la place de la Suisse en Europe et dans le monde, en ne se contentant plus de mener une politique à courte vue, fondée sur la seule satisfaction des besoins immédiats de l’économie ?

Comment agir pour que nos systèmes de formation permettent de faire face au changement social et culturel, ainsi qu’aux mutations sociétales ?

Comment faire pour que la Suisse multiculturelle ne soit plus considérée comme un handicap, mais comme une chance historique ?

Evidemment, les réponses à ces questions ne sauraient surgir en quelques semaines. On est toutefois en droit d’attendre des candidat(e)s au Conseil fédéral qu’ils entrent de plein pied dans les grands débats du présent et du futur.