Tribune
Le Jura, un laboratoire pour la Suisse ?

Par Jean-Claude Rennwald, politologue et conseiller national (PS/JU)

Le brillantissime résultat d’Elisabeth Baume-Schneider et l’excellent score de Michel Thentz lors du premier tour de l’élection au Gouvernement jurassien, de même que la progression des Verts (+ 2 sièges) et du PS (+ 1) au Parlement, ont de quoi réjouir tous les hommes et toutes les femmes de gauche. Au-delà de la satisfaction immédiate, il importe de se demander si l’exemple du Jura va faire office de laboratoire pour la Suisse. Car les élections jurassiennes constituent aussi une petite révolution sur le plan national.

Un double tournant
Depuis les élections fédérales d’octobre 2007, les élections cantonales ont pratiquement toutes été marquées, d’une part, par une progression de l’UDC ou du PDB au détriment du PDC et des radicaux et, d’autre part, par une montée des Verts ou des Verts libéraux en défaveur du PS. De ce point de vue, les élections jurassiennes de dimanche dernier marquent un double tournant :
• L’UDC n’a engrangé qu’un seul siège supplémentaire, alors qu’elle en espérait trois. Dominique Baettig ne se classe qu’au 11e rang des 13 candidats au Gouvernement. Preuve que les excès de l’UDC, en particulier son innommable slogan « Frontalier d’accord. Jurassien d’abord », ne passent pas dans le Jura. Cette évolution confirme ce qui se passe au niveau national, puisqu’en 2007, l’UDC a perdu des plumes dans plusieurs cantons, en particulier 28 sièges aux Grisons.
• Le PS et les Verts ont progressé de façon parallèle. C’est réjouissant, car ces derniers mois, Verts et socialistes avaient tendance à se regarder en chiens de faïence sur le plan national. Dans le Jura, le PS et les Verts, mais aussi CS/POP, peuvent agir comme les cousins d’une grande et même famille, celle de la gauche tout entière. Le PS jurassien a en outre gagné son siège après une série de pertes socialistes continues depuis 2007 dans toute la Suisse.
Le Jura ne représentant que 1 % de la population suisse, il faudra attendre les élections qui auront lieu au printemps prochain dans quelques cantons importants (Zurich, Vaud, Tessin) pour voir si ces tendances se confirment dans la perspective des élections fédérales de 2011.

Du jamais vu depuis 1978
Avec 21 sièges (14 pour le PS, 4 pour les Verts et 3 pour CS/POP), la gauche atteint et même dépasse pour la première fois la barre des vingt sièges depuis les premières élections cantonales de 1978.
Ce magnifique résultat est en partie lié aux affaires qui ont éclaboussé le PDC, mais elle tient davantage à la crédibilité de la gauche en matière de sécurité sociale, de politique économique ou d’environnement. La gauche jurassienne ne pourra pas faire des miracles, car elle reste minoritaire. En raison de la confiance qui lui a été accordée, elle devra toutefois renforcer son « potentiel de proposition » ainsi que sa « capacité au conflit et à la négociation », en particulier dans ces domaines : augmentation du pouvoir d’achat ; lutte contre le dumping salarial ; aides publiques subordonnées au respect des conventions collectives de travail (CCT) ; reconversion écologique de l’économie ; formation ; intégration de toutes et de tous dans la vie sociale. La gauche devra aussi lutter pour une plus grande transparence dans la gestion des affaires publiques, pour une représentation politique plus équilibrée dans les hautes sphères de l’administration et pour mettre fin aux pratiques claniques du PDC. C’est à ce prix que l’on évitera la répétition des affaires qui ont terni l’image du Jura.

Gagner à la Saint-Martin

Les élections jurassiennes sont aussi de bon augure par rapports à quelques échéances plus ou moins proches :
• Elles placent la gauche jurassienne en position idéale pour les élections fédérales d’octobre 2011.
• Elles peuvent lui servir de levier pour reconquérir quelques positions perdues lors des dernières élections communales.
• Elles doivent faire office de détonateur pour faire tomber, le 28 novembre, l’initiative de l’UDC et le contreprojet du Parlement « pour le renvoi des étrangers criminels » ainsi que pour faire triompher l’initiative socialiste « pour des impôts équitables ».
La politique ne s’arrête pas aux élections et aux votations. A terme, la gauche ne deviendra plus forte encore que si elle renforce ses organisations, sa capacité de débat et de mobilisation, son professionnalisme, la formation de ses militants, ses instruments de communication et son unité, et qu’elle renonce aux compromissions ainsi qu’à la tentation socialo-libérale blairiste, laquelle a notamment fait le malheur des travaillistes anglais et du SPD allemand. Mais il faut d’abord que la gauche gagne la « bataille de la Saint-Martin », en faisant élire Michel Thentz aux côtés d’Elisabeth Baume-Schneider au Gouvernement jurassien, le 14 novembre prochain.