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Suisse – Union européenne :

Du bilatéralisme à l’adhésion

Par Jean-Claude Rennwald, conseiller national (PS/JU), vice-président de l’USS

Après son refus d’adhérer à l’Espace économique européen (EEE), le 6 décembre 1992, la Suisse a emprunté une voie qualifiée de bilatérale en vue de renforcer sa collaboration avec l’Union européenne (EEE). Cette stratégie a débouché sur la mise en œuvre, le 1er juin 2002, de sept accords bilatéraux de nature essentiellement économique (levée des obstacles au commerce pour l’industrie d’exportation, libre circulation des personnes, transport terrestre, trafic aérien, libéralisation des marchés publics, renforcement des échanges agricoles et recherche scientifique).

En décembre dernier, le Parlement fédéral a adopté une nouvelle série de huit accords bilatéraux qui peuvent être classés en trois catégories :

• cinq accords techniques qui portent sur les médias, l’environnement, la statistique, les produits agricoles transformés et la suppression de la double imposition des fonctionnaires retraités de l’Union qui résident en Suisse ;

• deux accords qui répondent à des requêtes de l’Union européenne : lutte contre la fraude douanière, fiscalité de l’épargne ;

• enfin, un accord nettement plus politique, puisqu’il vise à associer la Suisse à l’espace Schengen/Dublin.

Suite à l’élargissement de l’Union européenne, les deux Chambres du Parlement ont en outre accepté l’extension de l’accord de 2002 sur la libre circulation des personnes aux dix nouveaux pays membres de l’Union.

La droite populiste menace

En juin et en septembre 2005, deux de ces accords feront l’objet d’un scrutin populaire. L’Union démocrate du centre (UDC) a lancé un référendum contre l’accord visant à associer la Suisse à l’espace Schengen/Dublin. Durant la campagne, l’UDC ne manquera pas d’emboucher à fond les trompettes des menaces sur la « souveraineté nationale ». De leur côté, les Démocrates suisses, situés encore plus à droite sur l’échiquier politique, ont annoncé un référendum contre l’extension de la libre circulation des personnes, sous prétexte que celle-ci va entraîner un « envahissement » de la Suisse. Pour des motifs différents, certains courants d’extrême gauche pourraient en faire de même.

Comme la droite modérée, le Parti socialiste suisse (PSS) et l’Union syndicale suisse (USS) sont favorables au deuxième paquet d’accords bilatéraux. Les deux organisations estiment que ces accords amélioreront les relations de la Suisse avec l’Union. Elles notent que notre intégration à l’espace Schengen permettra de mieux combattre la grande criminalité, et qu’elle constituera une bonne opération pour 50'000 migrants travaillant en Suisse - surtout les travailleurs de l’ex-Yougoslavie - qui ne seront plus soumis à une procédure vexatoire en matière de visas lorsqu’ils vont en vacances dans leur pays. La simplification des procédures d’octroi des visas sera en outre favorable à l’industrie touristique.

Pas de chèque en blanc

L’USS et le PSS ne combattront pas non plus l’extension de la libre circulation des personnes aux pays d’Europe centrale et orientale (PECO). L’entrée de dix nouveaux pays et de 75 millions de consommateurs dans le marché européen sera favorable à la croissance et aux industries suisses d’exportation. Mais l’USS et le PSS ont refusé de signer un chèque en blanc. Certains PECO connaissent un chômage de masse (10 à 40 %). Le niveau de vie moyen de ces Etats ne représente que 40 % de celui de l’Union. Les ressortissants des nouveaux Etats membres seront par conséquent tentés de chercher un emploi en Allemagne, en Autriche ou en Suisse, mais leur arrivée ne doit pas entraîner un phénomène de pression sur les salaires. C’est pourquoi la gauche politique et syndicale a obtenu que le Parlement suisse renforce les mesures d’accompagnement social qui avaient déjà été mises sur pied avec les premiers accords bilatéraux. Le bilan est globalement positif, puisque :

• L’extension d’une convention collective de travail (CCT) à toute une branche économique (beaucoup plus difficile en Suisse que dans la plupart des pays européens) sera facilitée.

• Les cantons devront engager un nombre suffisant d’inspecteurs pour contrôler le marché du travail.

• Des améliorations ont été apportées à la loi sur les travailleurs détachés.

• Des mesures seront prises dans les domaines du travail temporaire et des faux indépendants.

Dumping salarial : des actes ! 

Dans un climat social qui reste tendu (stagnation du pouvoir d’achat, chômage, licenciements, etc.), cette double bataille sera difficile. En ce qui concerne l’extension de la libre circulation des personnes, une bonne partie de la campagne se jouera sur la volonté des cantons et du patronat de mettre en œuvre les mesures d’accompagnement social. Or, l’expérience montre que de nombreux employeurs font preuve de laxisme, alors que plus de la moitié des cantons ne disposent pas encore des instruments permettant de combattre la sous enchère salariale ! Deux exemples permettent de mesurer l’ampleur du problème. Sur 300 travailleurs détachés que compte le canton de Berne, 90 % recevaient un salaire inférieur au minimum conventionnel. Dans le canton de Bâle-Campagne, des menuisiers ont travaillé pour 18 francs suisses de l’heure, alors que la convention collective de la branche impose des salaires de 28 francs ! Les milieux économiques ont intérêt à combattre ces abus, car si l’extension de la libre circulation des personnes devaient être refusée, l’Union européenne aurait la possibilité de faire jouer la « clause guillotine », ce qui se traduirait par la dénonciation de tous les accords bilatéraux conclus jusqu’ici. Une hypothèse que les autorités suisses osent à peine imaginer, car elle serait synonyme de graves difficultés pour l’économie du pays, en particulier pour les branches d’exportation (machines, chimie, horlogerie).

L’adhésion, un débat incontournable 

Ces deux échéances sont fondamentales, mais il serait illusoire de croire qu’elles vont mettre la Suisse « à l’abri » d’un nouveau débat sur l’adhésion à l’Union européenne, et cela pour les raisons suivantes :

• Les accords bilatéraux négociés jusqu’ici l’ont été dans une Union qui comprenait 15 membres. Or, celle-ci en compte désormais 25, de sorte qu’à l’avenir, il sera quasi impossible de trouver des solutions taillées sur mesure pour la Suisse.

• Entre 1995 et 2004, la croissance par tête d’habitant aura été trois fois plus forte au sein de l’UE (+ 21 %) qu’en Suisse (+ 8 %). Du fait que les nouveaux accords ne combleront pas ce retard et que le niveau de vie moyen entre les Helvètes et les Européens ne cesse de se réduire, la Suisse a intérêt à adhérer rapidement à l’Union pour profiter pleinement de la dynamique du grand marché intérieur. « Depuis ces 40 dernières années, précise Jean-Pierre Ghelfi, l’un des principaux conseillers économiques du mouvement syndical, le rythme de croissance des pays de l’UE est à peu près deux fois plus rapide que celui de la Suisse. A la fin des années 50, début 60, le niveau de vie moyen était deux fois plus important en Suisse que dans les autres pays, c’est-à-dire de la moyenne de niveau de vie des Quinze. Aujourd’hui, cet écart n’est que de 15 %. »

• Les travailleuses et les travailleurs acceptent de moins en moins que l’officialité helvétique ne s’intéresse, dans ses relations avec l’Europe, qu’aux seuls accords économiques, alors que seule une adhésion nous permettra de reprendre les normes sociales de l’Union (protection contre les licenciements, travail à temps partiel, durée du travail, etc.).

Le postulat qui précède permet de comprendre pourquoi les dirigeants de l’économie, qui avaient atteint leurs principaux objectifs avec les premiers accords bilatéraux, veulent désormais attendre vingt ans avant de reparler de l’adhésion ! Cette tendance risque encore de se renforcer avec les nouveaux accords, comme en témoigne cette déclaration de Pierre Mirabaud, président de l’Association suisse des banquiers : « En signant les accords bilatéraux II, nous avons bétonné le secret bancaire pour quinze ans au moins. »

Pour la gauche politique et syndicale suisse, une telle attitude est inacceptable. La Suisse a certes besoin d’être intégrée économiquement à l’Union européenne. Mais la même Suisse ne pourra pas construire éternellement sa politique sur « l’Europe des marchands ». Elle doit aussi participer à la construction et au développement d’une Europe politique, sociale et culturelle. Or, seule l’adhésion de la Suisse à l’Union lui permettra de franchir ce pas.

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Jean-Claude Rennwald - conseiller national
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