Tribune
Le socialisme jurassien, un modèle ?

Par Jean-Claude Rennwald, conseiller national (PS/JU)

Au lendemain de la votation fédérale du 28 novembre, une conseillère nationale membre du groupe socialiste m'a dit qu'elle envisageait de demander l'asile politique dans le Jura. Au-delà de cette boutade, les socialistes suisses, depuis quelque temps, prennent leurs camarades jurassiens en exemple. Et pour cause, ces derniers ont récemment accumulé plusieurs beaux succès.
Pour la première fois depuis 2007, le Parti socialiste suisse a gagné un siège dans un parlement cantonal, soit lors des dernières élections cantonales jurassiennes. Le PS jurassien a aussi récupérer son deuxième fauteuil au gouvernement cantonal, ce qui porte à 32 le nombre de conseillers d'Etat socialistes en Suisse, soit le meilleur score de ces trente dernières années. Globalement, la gauche jurassienne a gagné trois sièges au parlement cantonal, où elle en occupe désormais 21 (PS 14, Verts 4, Combat socialiste/POP 3). Jamais la gauche n'avait atteint un tel niveau depuis les première élections cantonales jurassiennes de 1978.
Mais les socialistes jurassiens et leurs alliés font aussi des envieux à l'occasion des scrutins fédéraux. Le 26 septembre dernier, c'est le canton du Jura qui a le plus massivement rejeté la révision de la loi sur l'assurance-chômage, alors que le 28 novembre, le Jura a voté, sur tous les sujets, conformément aux recommandations du PS et de la gauche: "non" ä l'initiative de l'UDC "pour le renvoi des criminels étrangers", "non" au contreprojet du Parlement fédéral, "oui" ä l'initiative socialiste "pour des impôts plus équitables". Dans ce dernier cas, le Jura a même été le "meilleur élève", puisque le taux d'acceptation de cette initiative fiscale a été proche de 70 % dans le canton du Jura.
Ces différents succès ne sont pas dus au hasard. Durant des décennies, on avait coutume de dire que "le Jura vote à gauche mais élit à droite". Une première brèche a été ouverte en 1995, lorsque de deux socialistes jurassiens ont pris la place de deux radicaux au Parlement fédéral. Depuis lors, la députation jurassienne aux Chambres est toujours composée de deux socialistes et de deux bourgeois. Deuxième brèche en 2002, avec l'entrée d'une deuxième socialiste au gouvernement cantonal. Siège perdu en 2006 suite à des erreurs stratégiques, mais donc repris en 2010.
En politique, il n'y a pas véritablement de "recette" pour gagner. Quelques éléments permettent toutefois de comprendre cette marche en avant victorieuse des socialistes dans le Jura :
- Le PS jurassien est uni, ou du moins n'étale pas ses éventuelles divisions au grand jour.
- Il a une bonne capacité de mobilisation. A titre d'exemple, il a déposé au mois de septembre demandant que les cantons qui le souhaitent puissent introduire une caisse-maladie unique et sociale. L'initiative a réuni 5'400 signatures. Le Jura ne représentant que 1 % de la population suisse, cela équivaut ä 540'000 signatures sur le plan national!
- Le PSJ entretient de bons rapports avec les autres forces de gauche et collabore de façon efficace avec les organisations syndicales, chacun sachant toutefois garder son indépendance.
- Le PSJ est clairement ancré à gauche et met en avant des thèmes qui parlent aux milieux populaires (pouvoir d'achat, emploi, développement économique, caisses-maladie, formation, etc.) tout en ne négligeant pas la nouvelle classe moyenne, notamment en étant actif sur le front de l'environnement, des énergies renouvelables ou à propos des problèmes de société.
On nous dira sans doute qu'en raison du poids de l'industrie dans le Jura, la classe ouvrière traditionnelle est beaucoup plus importante en terre jurassienne qu'à l'échelle nationale. C'est vrai, mais ce que les socialistes des grands centres, surtout en Suisse alémanique, ont par trop tendance à oublier, c'est que leur électorat potentiel ne se compose pas uniquement de fonctionnaires, de techniciens, d'ingénieurs ou d'enseignants. La classe ouvrière y est aussi présente, mais sous d'autres formes, en ce sens que les horlogères ou les mécaniciens y ont progressivement été remplacés par une autre composante des milieux populaires: les vendeuses, les employés d'entreprises de nettoyage, le personnel de la restauration rapide, etc. Ces salariés-là méritent aussi que les socialistes s'y intéressent concrètement, faute de quoi ils tendent à se réfugier dans l'abstention ou à céder aux sirènes du populisme. A ces travailleurs-là, il faut aussi parler un langage direct, proche des réalités quotidiennes.
Les socialistes jurassiens n'ont de leçon à donner à personne. Le seul message qu'ils souhaitent transmettre, c'est qu'une politique socialiste digne de ce nom doit en priorité embrasser les préoccupations de l'ensemble du monde du travail, aussi bien celles des prolos que des bobos.