Tribune
Jura : du clanisme à la modernité
Par Jean-Claude Rennwald, politologue et
conseiller national (PS/JU)
En
1994, l’auteur de ces lignes avait publié une thèse de doctorat en
science politique, « La transformation de la structure du pouvoir dans
le Canton du Jura 1970-1991 » (Editions CJE Il y était démontréque le
pouvoir politique jurassien ne relève pas seulement de rapports de force
entre partis politiques et groupes socio-économiques (associations
patronales, syndicats ouvriers, organisations agricoles), mais aussi de
liens de type clanique.
Dans la définition d’un clan, la parenté joue un rôle fondamental. Mais
il existe d’autres paramètres, notamment les liens d’amitié, de
voisinage, de clientèle et de dépendance.
La famille, centre du clan
A partir
de cette définition, j’avais établi un tableau très précis des liens
parentaux à l’intérieur des structures institutionnelles et des corps
intermédiaires (partis, associations, etc.) du Canton du Jura. J’en
rappelle ici quelques exemples :
• Liens au sein d’un couple : Dominique Amgwerd (député) et Madeleine
Amgwerd (conseillère aux Etats) ; Bernard Prongué (chef de l’Office du
patrimoine historique) et Marie-Madeleine Prongué (conseillère aux Etats.
• Liens père-enfant : Roger Jardin (ministre) et Roger Jardin (député).
• Liens entre frères (et sœurs) : Roger Schaffter (dirigeant du RJ et
député à la Constituante) et Joseph Schaffter (fondateur du PCSI) ;
François Lachat (ministre), Pierre Lachat (juge) et Marie-Josèphe Lachat
(cheffe du bureau de l’égalité),
• Liens plus étendus : Gabriel Boinay (juge à la cour suprême), Pierre
Boinay (juge, fils), Joseph Boinay (chancelier, frère du premier).
De l’hégémonie
du PDC au sein de l’appareil d’Etat…
De tels liens politico-familiaux existent dans tous les partis, mais
c’est à l’intérieur de la démocratie-chrétienne qu’ils sont les plus
intenses et les plus nombreux, pour des raisons historiques et
idéologiques (le poids de la famille dans la doctrine de l’Eglise,
facteur transposé dans les lignes directrices du PDC). Et ce n’est sans
doute pas un hasard si, en Suisse romande, ce sont les cantons du Jura
et du Valais qui présentent à ce titre le plus d’homologies
structurales.
Pris isolément, chacun de ces liens n’est guère problématique. C’est à
partir du moment où ces rapports se superposent, s’entremêlent et
s’entrecroisent que les choses prennent une autre tournure. Et c’est en
bonne partie en raison de ces liens que le PDC, qui avait obtenu un peu
plus de 30 % des voix lors de l’élection du premier Parlement, est
devenu hégémonique au sein de l’appareil d’Etat jurassien :
• Gouvernement : 40 % des sièges.
• Juges : 56 % des postes.
• Administration : 55 à 60 % des cadres.
… aux
affaires qui empoisonnent la République
Les différentes affaires qui ont éclaté depuis quelques années dans le
Jura (fraude à l’assurance chez Black & Decker, BMW, « pornogate »,
commandant de la police) s’inscrivent précisément dans ce contexte. En
effet :
• Les protagonistes de ces affaires sont tous démocrates-chrétiens.
• Ce sont tous des hommes. Or, les clans sont traditionnellement dirigés
par des hommes.
• Ils entretiennent entre eux des liens étroits, politiques, familiaux,
amicaux, conviviaux, comme en témoigne « l’esprit de corps » de
l’état-major de la police à l’égard du commandant suspendu.
Même si des affaires éclatent aussi ailleurs, cette situation est
gravissime pour l’image du Canton du Jura. Je passe l’essentiel de mes
semaines à Berne, soit comme responsable syndical, soit comme
parlementaire fédéral. Et bien, au panthéon de la disgrâce, le Jura fait
bientôt « aussi bien » que Neuchâtel et son affaire Hainard !
Un boulevard pour la gauche…
Pour sortir de cette vinasse, il n’y a pas de solution miracle. Il
importe toutefois en premier lieu de modifier les rapports de force au
sein des structures politiques jurassiennes. En raison de la
décomposition de la « République des copains » et du fait que le PLR a
presque toujours été à la merci des velléités démocrates-chrétiennes, un
véritable boulevard s’offre à la gauche dans la perspective des
élections cantonales jurassiennes.
…qui doit être unie
Mais encore faut-il que la gauche mette fin à ses querelles de chapelle,
qu’elle comprenne que ce qui rassemble ses différentes composantes face
à la droite est dix fois plus important que ses différences internes.
C’est pourquoi, pour le 1er tour de l’élection au Gouvernement, le 24
octobre, il serait utile d’exprimer un vote unitaire pour tous les
candidats de la gauche (PS, POP/CS ; Verts), avec une logique de
désistement républicain (les deux mieux placés au 1er tour sont
candidats pour le second). C’est à mes yeux le seul moyen de placer deux
élus de gauche dans le prochain Gouvernement, mais aussi la seule
manière de faire barrage au clanisme et d’entrer dans la modernité
politique, sociale, économique et culturelle.
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