Tribune
Pour un New Deal social européen

Par Jean-Claude Rennwald, conseiller national (PS/JU), membre du comité directeur du syndicat Unia

Suite à la publication du rapport du Conseil fédéral sur la politique extérieure 2009, plusieurs analystes ont fait remarquer, parfois avec exagération, que le débat sur l’adhésion de la Suisse à l’Union européenne (UE) était relancé. Certains d’entre eux, comme Jacques Pilet dans « L’Hebdo » et l’ancien ambassadeur François Nordmann dans « Le Temps », ont souligné que la voie bilatérale devient étroite et que les conséquences d’un repli de la Suisse hors de l’Union sont de plus en plus problématiques.

Justes, ces analyses ne répondent toutefois pas à deux questions essentielles :

● Comment convaincre les salariés qu’une adhésion à l’Union peut leur être favorable ?

● Comment amener la droite (libérale-radicale et démocrate-chrétienne) et le patronat à soutenir la cause de l’adhésion ?

L’UE a longtemps été considérée comme un modèle social. Avec Jacques Delors en particulier, d’importants progrès ont été accomplis, notamment au moyen des directives sur le congé maternité, sur la formation professionnelle et continue ou encore sur la protection contre les licenciements.

Depuis lors, les choses se sont gâtées. On peut caractériser l’évolution politique, sociale, économique et juridique de l’Union par les quelques déceptions suivantes :

● Absence de politique économique coordonnée - spécialement en temps de crise – alors que la zone euro compte aujourd’hui plus de 15 millions de chômeurs.

● Remise en cause du « modèle nordique » de relations sociales, fondé sur un tripartisme fort entre l’Etat, les syndicats et le patronat.

● Restriction grave du droit de grève dans la lutte contre le dumping social, remise en cause du principe « A travail égal, salaire égal au même endroit » lors d’adjudications publiques, dénonciation des mesures légales de protection contre la sous-enchère salariale, tout cela en raison d’arrêts rendus récemment par la Cour de justice européenne.

Dans ces conditions, on comprendra que les salariés, en Suisse comme dans l’UE, ne se lèvent pas chaque matin en criant « Europe, Europe » ! Avec Vasco Pedrina, secrétaire central Unia et vice-président de la Fédération internationale des travailleurs du bois et du bâtiment, nous affirmons que les salariés travaillant en Suisse ne pourront dire « oui » à l’adhésion que si l’on assiste à un retournement de l’Union européenne en matière de politique économique et sociale, et que si l’on apporte la preuve qu’une politique d’ouverture européenne n’est pas synonyme de dumping social.

La réalisation de ces ambitions nécessite aussi la mise en œuvre d’un « New Deal social » européen : emplois plus nombreux et de meilleure qualité ; plan européen d’investissements et de grands travaux (développement des trains à grande vitesse, par exemple) ; soutien accru à l’innovation, aux nouvelles technologies, aux économies d’énergie et aux énergies renouvelables, à la formation et à la formation continue ; meilleure maîtrise des flux financiers.

Bref, l’UE doit rassurer les salariés suisses dont les craintes sont actuellement légitimes.

Cette voie du progrès social n’est toutefois pas à sens unique. Une politique européenne dynamique de la part de la Suisse implique aussi que nous comblions notre déficit social par rapport à d’autres législations européennes, que soit mis en place un dispositif aussi bien légal que conventionnel en matière de salaires minimaux, que nous ratifions la Charte sociale européenne, ou encore qu’on s’aligne sur le droit social européen dans les domaines suivants : licenciements collectifs ; temps de travail ; travail à temps partiel et travail temporaire ; santé et sécurité au travail ; égalité de traitement et non discrimination ; congé parental.

Evidemment, ces objectifs ne pourront être atteints de façon performative. Il faut une participation active des travailleurs et des militants syndicaux de notre pays aux actions - tant suisses qu’européennes - visant à rétablir les droits des travailleurs et à imposer un changement de cap dans les politiques économiques et sociales. Nous devons nous engager au sein des comités d’entreprises européens des multinationales ainsi que pour le renforcement des syndicats et du partenariat social dans l’ancienne Europe de l’Est.

Ce projet social - suisse et européen - est décisif pour convaincre les salariés des vertus de l’adhésion. Celui-ci n’aura en revanche guère de prise sur la bourgeoisie industrielle et financière ainsi que sur les radicaux et le PDC, qui sont autant de forces nécessaires pour faire basculer la Suisse dans le camp européen.

Avant même de plébisciter l’adhésion, les Européens convaincus en Suisse ont à s’opposer fermement à tout nouvel accord sectoriel avec l’UE, dans la mesure où les accords bilatéraux, jusqu’ici, ont essentiellement profité aux milieux économiques et financiers, sans que ceux-ci n’aient à supporter les « coûts » du projet européen, notamment en matière de progrès sociaux et politiques.