Opinion
AIJ : à nouveau canton, canton nouveau !
 

Par Jean-Claude Rennwald, politologue et conseiller national (PS/JU)

L’Assemblée interjurassienne (AIJ) a frappé un grand coup en lançant l’idée d’un nouveau canton à six communes réunifiant le canton du Jura et le Jura bernois. Derrière ce projet audacieux, qui sort du vieux schéma séparatistes contre antiséparatistes, il y a une énorme matière à réflexion concernant les structures politiques de la future entité territoriale, les synergies possibles, les économies d’échelle ou le bannissement de l’esprit de clocher.

Aussi séduisant soit-il, ce projet risque cependant de se heurter à de fortes résistances communalistes, comme en témoigne la lenteur du processus relatif aux fusions de communes. Et si la transformation de chaque district en une seule commune paraît relativement aisé pour les Franches-Montagnes et La Neuveville, elle sera plus difficile dans les autres régions, plus peuplées et comprenant un nombre plus important de communes. Mais après tout, pourquoi ne pas essayer de mettre en place un tel système, car comme le dit le dicton, « qui ne risque rien n’a rien ».

Dans cette perspective, il faudra veiller à ce que la réduction de la fonction publique – qui dit fonction publique dit services publics - et les économies financières ne deviennent pas des objectifs pour eux-mêmes. Ce qui paraît le plus important, c’est que la nouvelle entité politique permette de maintenir des services de proximité (« guichet communal ») et une participation citoyenne, de satisfaire les besoins sociaux de ses habitants, et non pas la diminution des agents de la fonction publique. En cas de suppression de postes, il faudra prévoir de sérieuses mesures d’accompagnement, de recyclage et de perfectionnement professionnel. Et si possible sur le territoire jurassien, car ce serait tout de même un comble que la création d’un nouveau canton oblige certains de ses ressortissants à s’expatrier ! La collaboration avec les organisations syndicales devra ici être très étroite.

Les parties vont également évaluer leurs pertes et leurs gains en termes de pouvoir. Or, en l’état de ses réflexions, l’AIJ ne s’est pas encore penchée sur deux questions essentielles : Quelle forme prendra le partage du pouvoir et de la souveraineté entre les deux parties du Jura ? Quelles garanties l’actuel Etat jurassien est-il disposé à donner au Jura bernois ?

Dans un essai publié en 1995 (Nord-Sud, le partage, Editions CJE), j’avais tenté de développer quelques pistes concrètes à ce propos, qui peuvent tout à fait être actualisées dans le cadre du présent projet :

• Une trop grande dispersion de l’appareil d’Etat est préjudiciable à son bon fonctionnement. Toutefois, d’un point de vue pratique, rien ne s’oppose à ce que le gouvernement et l’administration soient installés à tel endroit, le parlement sur un deuxième site et les autorités judiciaires sur un troisième. Les établissements autonomes (Banque cantonale, Assurance immobilière) peuvent très bien être répartis sur le reste du territoire.

• Si la création d’un seul cercle électoral pour l’élection du gouvernement semble s’imposer, il est difficile d’imaginer que tous ses membres viennent tous de l’actuel canton du Jura ou tous du Jura bernois. Dès lors, il conviendrait de prévoir une norme constitutionnelle selon laquelle, sur cinq membres du gouvernement, chaque partie du Jura actuel aurait droit à au moins deux représentants.

• Même si l’idée d’un cercle électoral unique pour l’élection du parlement paraît séduisante, je préférerais la création de deux cercles électoraux, un pour chaque partie du territoire jurassien et comprenant le même nombre de députés chacun, malgré la différence de population. Ce serait assurément un vrai signe de partage !

• Un tel découpage ne me paraît en revanche pas indiqué pour l’élection des deux conseillers aux Etats (le mode d’élection au Conseil national est une compétence fédérale). Ici, le cercle unique s’impose, à défaut de quoi le jeu politique serait trop fermé.

Au-delà des structures, il sera nécessaire de mener un débat approfondi sur le projet politique, social, économique et culturel du futur canton à six communes Dans les années soixante et septante, on disait que le canton du Jura serait un canton novateur et d’avant-garde. Or, si sa Constitution répond à ce souhait, il a fallu quelque peu déchanter au niveau de la politique quotidienne. Le nouveau canton n’aura de sens que s’il parvient à favoriser la création d’emplois haut de gamme, à redresser la démographie, à démocratiser la formation et la culture, à contribuer au relèvement des salaires, à créer un cadre propice au partenariat social. Or, dans tous ces domaines, il y a beaucoup de pain sur la planche. Pour ne prendre qu’un exemple, le patronat horloger du canton du Jura et du Jura bernois est le moins conventionné de Suisse. Il vaut la peine de se battre pour la création d’une nouvelle entité politique à la condition sine qua non que celle-ci ne retombe pas dans les mêmes travers que les structures d’aujourd’hui. Je suis persuadé qu’au-delà des aspects institutionnels du débat, la majorité des Jurassiennes et des Jurassiens, du Nord comme du Sud, attendent surtout un changement de cap social.